Les tiques : une présence qui en dit long

Avec les beaux jours, on se remet à marcher pieds nus dans l’herbe, à crapahuter dans les bois ou à jardiner tranquillement. Et avec tout ça… les tiques sont de retour. Redoutées pour leur piqûre parfois infectée, elles sont devenues en quelques années un véritable sujet de santé publique. Mais sait-on vraiment à quoi on a affaire ? D’où elles viennent, ce qu’elles font là, et comment cohabiter au mieux avec elles ? Tour d’horizon de ces petits acariens pas si anodins.

 Une drôle de bestiole

La tique n’est pas un insecte mais un acarien parasite : elle se nourrit du sang de ses hôtes pour passer d’un stade à l’autre de sa vie – larve, nymphe, adulte. Chaque phase nécessite un repas sanguin, mais entre deux, elle peut patienter de longs mois, bien cachée dans la litière forestière. Et contrairement à une idée tenace, elle ne saute pas. Elle grimpe au sommet d’un brin d’herbe ou d’une fougère et attend le passage d’un animal pour s’y agripper. Cette technique porte un nom : la quête.

Ses hôtes préférés sont les rongeurs, notamment les mulots. Très exposés aux larves, ces derniers jouent un rôle clé dans la transmission de certains agents pathogènes comme Borrelia, responsable de la maladie de Lyme. Les cervidés, eux, ne transmettent pas la maladie, mais nourrissent un grand nombre de tiques adultes, favorisant leur reproduction. Les humains, eux, croisent ces petits parasites surtout en forêt, dans les friches ou les prairies peu entretenues.

Une présence en hausse ?

De nombreuses études le confirment : les tiques gagnent du terrain. On les retrouve désormais à des altitudes plus élevées, dans des zones où elles étaient absentes il y a quelques décennies (Perret et al., 2000). Leur période d’activité s’étire sur une plus grande partie de l’année, parfois dès février et jusqu’à novembre. Le changement climatique, en particulier l’augmentation des températures minimales hivernales, favorise leur survie et leur activité (Gilbert et al., 2012).

Mais le climat n’explique pas tout. L’urbanisation, l’agriculture intensive, la fragmentation des forêts ou encore la disparition de certains prédateurs modifient profondément les équilibres écologiques. Dans certains territoires, les renards et les rapaces sont en déclin, ce qui favorise l’essor des petits mammifères réservoirs de maladies.

Une étude menée aux Pays-Bas montre par exemple que la présence de prédateurs comme le renard réduit la densité de tiques infectées, en limitant l’abondance des hôtes-réservoirs (Hofmeester et al., 2017).

Où risque-t-on le plus d’attraper une tique ?

Les tiques affectionnent les zones humides, ombragées et riches en faune hôte. On les rencontre surtout en lisière de forêt, dans les sous-bois feuillus avec litière de feuilles mortes, ou encore dans les prairies peu entretenues proches d’espaces boisés. On peut aussi les trouver dans des jardins ou parcs urbains, surtout ceux connectés à des milieux naturels ou fréquentés par des animaux domestiques. À l’inverse, les zones très ensoleillées, aux sols secs ou aux pelouses tondues très courtes, sont peu favorables à leur survie.

En prévention, il s’agit de porter des vêtements longs (jambes et bras protégés) et de faire un « Tique Check » de retour des promenades en forêt ou dans les herbes hautes, sans oublier les cheveux.

 Faut-il avoir peur des prairies en gestion différenciée ?

Dans les parcs urbains et les jardins, la gestion différenciée – qui consiste à réduire la tonte et favoriser la végétation spontanée – est parfois accusée d’encourager les tiques. Pourtant, la réalité est plus complexe. Ce ne sont pas les herbes hautes en soi qui font proliférer les tiques, mais bien la présence d’hôtes en grand nombre et les conditions microclimatiques (humidité, température, structure du sol). Un carré de prairie fleurie, bien intégré dans un espace diversifié, ne présente pas plus de risques qu’une pelouse tondue à ras.

Mieux : les milieux plus complexes et plus riches en biodiversité hébergent aussi des espèces qui participent à la régulation des tiques. En ville comme à la campagne, il faut éviter les simplifications excessives. Favoriser la diversité végétale et la présence de prédateurs naturels est sans doute une meilleure stratégie à long terme que la tonte systématique ou l’usage de produits chimiques. La présence de tiques dans certains parcs urbains européens est bien documentée (Rizzoli et al., 2014 ; Oechslin et al., 2017), mais elle s’explique souvent par leur connexion à des milieux naturels ou semi-naturels abritant des hôtes, plus que par la hauteur de l’herbe elle-même.

En cas de piqûre

Il faut retirer la tique dès que possible, avec un tire-tique, sans la brusquer ni l’écraser. Plus elle reste accrochée longtemps, plus le risque de transmission augmente. Une fois retirée, on désinfecte, puis on surveille la zone pendant plusieurs jours. Si une rougeur inhabituelle apparaît, en particulier un érythème en forme de cible, ou si des symptômes étranges surviennent, mieux vaut consulter. Mais il est bon de rappeler que toutes les tiques ne sont pas infectées, et que toutes les piqûres ne mènent pas à des maladies.

Les renards, de précieux alliés pour les réguler

Pas de solution miracle : les tiques sont résistantes, adaptables, et leur cycle de vie est bien huilé. Les traitements acaricides peuvent parfois être utilisés ponctuellement dans des zones à risque élevé, mais ils affectent aussi les insectes non ciblés et déséquilibrent les écosystèmes. En revanche, certaines espèces animales jouent un rôle précieux dans leur régulation.

Les renards, en particulier, sont de précieux alliés. En contrôlant les populations de rongeurs, ils limitent indirectement les tiques et surtout les tiques infectées. Les oiseaux insectivores, les poules, les hérissons ou encore les chauves-souris participent aussi à cet équilibre, chacun à sa manière. Ce sont des écosystèmes diversifiés, structurés et riches en interactions qui permettent à la régulation naturelle de s’exercer pleinement.

Les tiques, un révélateur d’un dérèglement des écosystèmes

Ces petits parasites, qui nous agacent autant qu’ils nous inquiètent, sont aussi un révélateur. Leur prolifération nous parle de notre façon d’aménager les territoires, de gérer les espaces naturels, de cohabiter – ou non – avec la faune sauvage. Plutôt que de chercher à les éliminer à tout prix, mieux vaut apprendre à mieux vivre avec, à travers une meilleure connaissance, des gestes de prévention simples, et surtout une approche plus écologique et systémique de la gestion des milieux. Finalement, les tiques sont peut-être moins un problème en soi qu’un symptôme vivant de milieux en déséquilibre.


Références bibliographiques

Perret et al. (2000)Influence of climate on the seasonal activity of Ixodes ricinus in Switzerland.
Montre que l’humidité relative et la température sont des facteurs clés pour l’activité des tiques.
https://doi.org/10.1046/j.1365-2915.2000.00260.x

 Hofmeester et al. (2017)Cascading effects of predator activity on tick-borne disease risk.
Étude qui démontre l’effet régulateur des renards sur les tiques via la régulation des hôtes réservoirs.
https://doi.org/10.1098/rspb.2017.1331

 Rizzoli et al. (2014)Ixodes ricinus and its transmitted pathogens in urban and peri-urban areas in Europe: new hazards and relevance for public health.
Fait le point sur la présence croissante des tiques en zone périurbaine.
https://doi.org/10.1016/j.parint.2014.01.001

 Oechslin et al. (2017)Epidemiology of tick-borne pathogens in urban and suburban areas of Switzerland.
Montre la présence de tiques porteuses de pathogènes dans des parcs urbains.
https://doi.org/10.1186/s13071-017-2060-y

 Gilbert et al. (2012)Climate change and tick-borne diseases: a review of the evidence.
Bon résumé des effets du changement climatique sur la dynamique des tiques.
https://doi.org/10.1111/j.1469-0691.2012.03800.x

Rédaction:
Hortense Serret
Responsable Biodiversité